De la Constitution de 1950 qui accorde à la femme haïtienne le droit de vote et d’éligibilité, à nos jours, en passant par le décret du 8 octobre 1982 sur la femme mariée et la Constitution de 1987, beaucoup de données ont changé dans le corpus juridique relatif aux droits des femmes en Haïti. Si les avancées sont louables, si les acquis méritent d’être sauvegardés et consolidés, il n’en demeure pas moins qu’il reste encore un long chemin à parcourir pour aboutir à une pleine et entière égalité entre hommes et femmes. Le dernier rapport « Les femmes, l’entreprise et le droit », publié par la Banque mondiale en mars 2018, a pu faire le point sur les différenciations juridiques fondées sur le genre qui constituent des freins à l’émancipation des femmes à travers le monde. Et pour ce qui a trait à plusieurs indicateurs, dont la protection des femmes contre les violences, à l'accès au crédit, Haïti doit définitivement refaire la classe.
Publié par la Banque mondiale le 29 mars 2018, le rapport intitulé « Les femmes, l’entreprise et le droit » est le cinquième depuis dix ans sur le même thème. Outil pour mesurer l’évolution des obstacles juridiques à l’activité des femmes à travers le monde, le rapport présente les données relatives à 189 pays sur la base de sept indicateurs : 1) accès aux institutions; 2) jouissance de la propriété; 3) obtention d’un emploi; 4) incitations au travail des femmes; 5) accès à la justice; 6) accès au crédit; 7) protection des femmes contre la violence. Ce document comporte pour la première fois un système de notation d’une échelle allant de 0 à 100, afin de mieux mettre en lumière
l’avancement des réformes et aussi montrer les mauvais élèves.
Si Haïti affiche un score de 82 sur 100 pour l’indicateur accès aux institutions, 80 pour celui relatif à la jouissance de la propriété, 63 pour l’obtention d’un emploi, 60 en matière d’incitations au travail des femmes, 50 pour l’accès à la justice, 0 est le score obtenu pour ce qui a rapport à l’accès au crédit et à la protection juridique des femmes contre les violences. Comparée à nous, la République dominicaine a fait très bonne figure en obtenant précisément un score de 100 pour les indicateurs suivants : accès aux institutions - jouissance de la propriété, incitations au travail et protection des femmes contre les violences.
Haïti peine à protéger les femmes contre les violences
À l’échelle mondiale, se doter d’un arsenal juridique apte à protéger les femmes contre les violences, notamment la violence domestique, le harcèlement sexuel dans le milieu du travail ou dans celui de l’enseignement, demeure un domaine où le chantier est immense. « Sur les 189 économies examinées par le rapport, 45 n’ont pas de loi sur la violence domestique et 56 n’ont pas de loi sur le harcèlement sexuel dans le milieu du travail. Globalement, 21 économies obtiennent un score de 0 pour l’indicateur sur la protection des femmes contre la violence », lit-on dans le résumé de ce rapport disponible sur le site de la Banque mondiale.
La République d’Haïti, faut-il le rappeler, a ratifié la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l'élimination de la violence contre la femme (ci-après « Convention de Belém do Pará »), traduisant sa volonté d’œuvrer à l’amélioration de la situation des femmes et des filles. Pourtant, plus d’une décennie après ces ratifications, la question de la violence est toujours banalisée, tolérée, occultée, si ce n’est considérée comme une affaire privée. Selon les données recueillies pour le rapport, Haïti, à l’instar de pays tels que l’Afghanistan, le Cameroun, le Tchad, la République du Congo, Djibouti, la Guinée équatoriale, le Gabon, la Guinée, la République islamique d’Iran, le Liberia, le Mali, la Mauritanie, Oman, la Fédération de Russie, le Soudan du Sud, le Swaziland et l’Ouzbékistan, n’assure encore aucune protection juridique contre la violence domestique ou le harcèlement sexuel.
En effet, bien qu’elle soit la forme de violence la plus courante à l’égard des femmes en Haïti, la violence domestique n’est pas prise en compte spécifiquement dans le Code pénal. D’ailleurs, avant le décret du 6 juillet 2005, le meurtre commis par un époux sur la personne de son épouse et de son complice ou sur l’un deux en les surprenant en flagrant délit d’adultère dans la maison conjugale était excusable. C’est ce même décret qui a renforcé les dispositions relatives au viol - bien qu’il ne le définisse pas- en statuant sur les agressions sexuelles.
Par ailleurs, même si, un peu partout à travers le monde, la question du harcèlement sexuel dont sont victimes les femmes est à l’ordre du jour, selon le rapport de la Banque mondiale, « 123 pays n’ont aucune loi sur le harcèlement sexuel dans le milieu scolaire, 59 pays ne sanctionnent pas le harcèlement sexuel au travail ». En Haïti, les notions de viol conjugal, mais surtout de harcèlement sexuel, ne sont pas prises en compte dans la législation nationale. La loi demeurant encore muette sur cette question, les victimes n’ont donc aucun recours.
Même si les statistiques en la matière sont rares, c’est un fait de plus en plus courant dans la société. Dans un article publié par Le Nouvelliste, le 23 mars 2015, on mentionne un rapport dans lequel la Solidarité des femmes haïtiennes (SOFA) et le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) ont passé au crible la question du harcèlement sexuel en milieu de travail en Haïti. Selon ce rapport, « sur un échantillon de 305 femmes, plus de 11% des femmes affirment avoir été victimes d’un propriétaire, d’un superviseur ou d’un directeur dans le secteur de la manufacture, plus de 37% des femmes de l’administration publique et des ONG recourent à des tentatives de suicide, à la consommation de somnifères pour échapper aux insultes ». Une situation qui montre à quel point il est urgent de combattre ces pratiques et comportements inacceptables par l’adoption de mesures juridiques et institutionnelles adaptées.
Congé maternité : Haïti en deçà de la moyenne fixée par l’OIT
Selon le même rapport, moins de la moitié des économies de la région Amérique latine et Caraïbes respectent la norme fixée par l’Organisation internationale du travail (OIT) pour la durée du congé de maternité, à savoir un congé minimum de 14 semaines. Haïti est bien en deçà de cette moyenne, dans la mesure qu’aussi bien que pour les fonctionnaires de l’Etat que pour les employés du secteur privé, le congé maternité est fixé à 12 semaines, dont 6 avant et après l’accouchement.
L’inclusion financière des femmes: Haïti doit y penser
Pour l’indicateur « accès au crédit », Haïti obtient un score de 0, mais il faut mettre une nuance dans la mesure où deux des données à recueillir n’étaient pas disponibles. Toutefois, « le nombre d’Haïtiens financièrement inclus demeure relativement faible » comme l’admet le document de Stratégie nationale d’inclusion financière de la Banque de la République d’Haïti. Quand on sait que, par rapport aux hommes, les femmes sont moins privilégiées quant à leur accès à l’éducation, quant à leur participation active au marché du travail, à l’inclusion socio-économique ou financière, il est nécessaire que, comme pour beaucoup de pays à travers les monde, l’inclusion financière des femmes devienne une préoccupation majeure en Haïti. S’il n’y a pas de dispositions discriminatoires à proprement parler qui empêchent l’accès des femmes au crédit, des mesures pour en faciliter, favoriser et promouvoir l’accès au financement pour les femmes sont nécessaires. Car, comme le souligne Kristalina Georgieva, directrice générale de la Banque mondiale dans le rapport, « aucune économie ne peut atteindre son plein potentiel économique sans la participation pleine et entière des hommes et des femmes ».
Le rapport de la Banque mondiale, « Les femmes, l’entreprise et le droit », démontre qu’un peu partout à travers le monde, aussi bien qu’en Haïti, les femmes sont enfermées dans une impasse juridique et institutionnelle qui freine leur émancipation. Elles se heurtent à des obstacles, des inégalités ancrées dans les lois en vigueur ou encourent des dangers du fait du silence de la loi dans certains domaines. Il est vrai que les lois à elles seules ne suffisent pas pour venir à bout de toutes les situations qui entravent l’épanouissement des femmes, mais elles sont essentielles et constituent un début incontournable.
Á ce propos, les mots de Shanta Devarajan, directeur principal de la vice-présidence chargée de l’Économie du développement de la Banque mondiale, tombent d’aplomb: « L’égalité des chances entre les femmes et les hommes est un impératif moral et économique, et l’abrogation des lois discriminatoires constitue une première étape essentielle dans cette direction. Nous espérons que la publication des données recensées par le projet "Les Femmes, l’Entreprise et le Droit" sera utile pour apporter les changements nécessaires qui permettront aux femmes de faire les meilleurs choix pour elles-mêmes, pour leur famille et pour leur communauté. »
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